- | NAIROBI 2007, UN TRES BON FORUM SOCIAL MONDIAL<br />Le Forum Social Mondial de Nairobi a été, de mon point de vue, un tr�s bon Forum. Un des plus intéressants parce qu�un des plus contradictoires. Nairobi a démontré la vigueur du processus des Forums sociaux mondiaux et du mouvement altermondialiste. Le mouvement altermondialiste ne se résume pas aux Forums Sociaux, mais le processus des forums y occupe une place particuli�re. Le FSM de Nairobi a été révélateur des questions posées à ce processus. Au début les probl�mes, les difficultés et les tr�s fortes contradictions se sont accumulés. Il a fallu deux jours pour que la dynamique du processus des Forums l�emporte sur les interrogations de départ.<br />La dimension mondiale du Forum Social Mondial a été bonne. Il y avait de fortes délégations de tous les continents (Indiens, pakistanais, brésiliens, italiens, fran�ais, etc.) Les progr�s étaient tr�s sensibles dans l�approfondissement des débats et de l’�eacute;laboration ainsi que dans la construction des réseaux mondiaux. Cette progression a été visible sur une série de questions, comme par exemple l�eau, la dette, la souveraineté alimentaire, les rapports entre l�Europe et l�Afrique et notamment entre la France et l�Afrique. Il y a eu un élargissement des réseaux présents et réellement impliqués. Pour prendre un exemple, le « Caucus » sur les droits humains ; la tente de 500 personnes a été remplie en permanence et pr�s de 80 réseaux ont participé à sa préparation. De m�me pour la dette, des réseaux aussi différents que Eurodad, le CADTM ou Jubilee Sud ont travaillé en commun à la construction de ces espaces. Sur les migrations, il y a eu un vrai débat dans la continuité des forums de Bamako et d�Ath�nes. La construction d�un réseau vraiment mondial a été amorcée à partir des associations de migrants en Europe et du réseau Migreurop, des associations africaines, des associations des Etats-Unis, du Mexique, des Philippines, d�Indonésie, etc.<br />La dimension africaine du Forum Social Mondial a été excellente. D�abord par la participation : 1300 Tanzaniens, 1000 Ougandais, 800 Sud-Africains, 700 éthiopiens, 300 Sénégalais, 150 Congolais de RDC, etc. Plusieurs des grandes délégations africaines avaient une composition populaire affirmée ; elles ont mobilisé des mouvements populaires et ont été préparé par des Forums sociaux nationaux. L�Afrique est le continent sur laquelle il y a eu le plus de Forums sociaux nationaux (plus d�une dizaine en 2006). Une des réussites du Forum est d�ailleurs la forte présence syndicale. Pr�s de cinquante syndicats africains ont participé activement au Forum. On a m�me vu arriver une délégation de 115 syndicalistes Soudanais. Le mouvement syndical africain a connu là sa premi�re apparition publique à l’�eacute;chelle du continent.<br />Nous avions la crainte que le FSM n�aille pas plus loin que le forum polycentrique de Bamako. Cela n�a pas été le cas. Les Forums (continentaux, nationaux, locaux) se renforcent les uns les autres, renforcent les sociétés civiles. A Bamako, on a vu la reconnaissance et la visibilité d�une société civile africaine structurée : organisations paysannes, syndicats de base (travailleurs des mines…), comités pour l�annulation de la dette, associations de femmes, de quartiers, de paix, de migrants, un mouvement écologiste qui démarre, etc. A Nairobi, c�est plus la dimension africaine qui a été marquante, une rencontre entre les différentes Afriques, avec la volonté et la difficulté de dépasser les fronti�res linguistiques coloniales. Le swahili, grande langue régionale a été tr�s présent. On peut parler aujourd�hui, à travers sa diversité et ses contradictions, de l’�eacute;mergence d�un mouvement social et citoyen africain à l’�eacute;chelle du continent.<br />La dimension kenyane du Forum Social Mondial a été beaucoup moins convaincante. Au delà des probl�mes d�organisation, les affrontements au sein du mouvement social kenyan ont été tr�s aigus. Du point de vue de l�affluence, l�estimation la plus basse était de 30 000 personnes, l�estimation haute de 60 000. Pour un pays de la taille du Kenya c�est tout à fait impressionnant. Il est un peu t�t pour apprécier l�impact local, le Forum jouera un r�le déclencheur et formateur qui peut déboucher sur une réelle avancée.<br />Les questions soulevées par le processus sont nombreuses. Les critiques faites à l�organisation du FSM dans les choix et les procédures de mises en �uvre sont légitimes. Il ne faudrait pas qu�elles masquent les probl�mes soulevés par le processus et qui étaient, d�une mani�re ou d�une autre, présentes dans les forums précédents.<br />L’�eacute;largissement géographique a progressé. Nous savions qu�un forum en Afrique ne serait pas facile. D�autant que l�Afrique du Sud ne s’�eacute;tait pas portée candidate. Or il n�y a pas beaucoup de pays africains qui peuvent accueillir un FSM, du point de vue de leur taille et de la force de leur mouvement social. Le format actuel du FSM ne peut pas �tre facilement localisé dans beaucoup de villes.<br />La mesure de l�impact d�un FSM est aussi difficile. D�autant qu�il y a une différence entre l�impact d�un événement forum et l�impact du processus des forums. La question du nombre des participants est à relativiser. Mais la médiatisation y ram�ne lourdement et pousse au gigantisme. La médiatisation elle-m�me est relative, attendons-nous une visibilité marquante, ou une « sympathie » des médias ? L�impact que nous recherchons est d�abord qualitatif ; il s�agit plus de la diversité et de la convergence que de la standardisation. L’�eacute;volution est patente de ce point de vue ; par exemple, les sujets sont traités de mani�re bien plus approfondie qu�au début des FSM.<br />L’�eacute;largissement des bases sociales n�est certainement pas suffisante, elle est pourtant réelle. Les syndicats de travailleurs, les organisations paysannes et les associations d�habitants sont présents depuis le début ; ainsi au Brésil la CUT, le MST ou le MNLN et à Nairobi les syndicats africains. La présence des plus pauvres et des exclus est plus difficile. La participation des No-Vox a marqué une étape qui s�est consolidée, notamment avec les migrants à Bamako ; ce sont les Dalits à Mumbai qui ont assuré un tournant qualitatif.<br />La participation des pauvres et des exclus demande un effort volontariste continu et difficile ; particuli�rement pour assurer la participation des associations représentatives de ces couches populaires au Forum. Pour les NoVox, les Dalits à Mumbai, les p�cheurs à Karachi, leur acc�s au Forum s�est fait à travers leurs associations, ils étaient (ou s’�eacute;taient) organisés. Il est beaucoup plus difficile de participer au Forum de mani�re compl�tement individuelle. A Nairobi, les choix ont été tr�s malheureux : éloignement sans navettes gratuites, prix d�entrée tr�s élevé pour les pauvres, péréquation insuffisante, ouverture insuffisante pour une partie des associations des bidonvilles.<br />L�exigence éthique dans la conduite des FSM est une question essentielle. La question de l�acc�s des pauvres a montré une tr�s forte élévation des exigences éthiques du mouvement altermondialiste. La revendication d�un autre monde peut-elle se satisfaire de la poursuite des comportements dominants que l�on rejette ? Les Forums doivent aussi �tre des vitrines d�un autre monde possible. Trois grandes questions ont été posées quand aux compromis acceptables : comment assurer l�organisation et la sécurité d�un événement comme le Forum ? quelle mode de consommation accepter dans les Forums ? comment financer les forums ?<br />L’�eacute;largissement politique du processus des Forums se pose continuellement. Il n�est pas anormal que des contradictions, voire des affrontements, opposent des composantes différentes du mouvement social et citoyen d�un pays ou d�une région. Il y a eu plusieurs fois des contre-forums, comme par exemple à Londres ou à Mumbaï. A Nairobi, le People�s Parliament qui a joué un r�le tr�s important dans l�ouverture du FSM, a organisé un autre Forum. Dans le rapport qu�elle a rédigé apr�s le Forum, Wangui, la représentante du People�s Parliament, indique que ce Forum n�a pas été organisé contre le FSM mais parce que nous ne pouvions y participer. Elle déclare par ailleurs son appui au processus des Forums sociaux.<br />La question de l’�eacute;largissement politique porte aussi sur la présence de plus en plus forte de certains mouvements, comme les tr�s grosses ONG, défendant des positions plus modérées. Il ne suffit pas de proposer de rétablir l’�eacute;quilibre en invitant les autres courants à être plus présents : il faut veiller à ce que les moyens plus importants des grosses associations ne leur permettent pas d�influencer ou de contr�ler l’�eacute;volution des forums.<br />L�articulation entre élargissement et radicalisation est la question la plus importante aujourd�hui pour le processus des forums sociaux. Le mouvement altermondialiste part du refus de la mondialisation néolibérale et de la conviction qu�un autre monde est possible et qu�il implique une rupture avec la pensée dominante et les politiques néolibérales. L’�eacute;largissement est un gage de succ�s pour le processus, à condition d’�eacute;viter l�affadissement du mouvement. L�approfondissement des engagements est une nécessité à condition d’�eacute;viter les exclusions et le sectarisme. Dans le langage du forum on parle de la liaison entre la convergence et la juxtaposition, l�horizontalité et la définition de priorités et d�axes de mobilisation, l�ordonnancement et l�agglutination (« brésilianisme » qui renvoie à l�appel à se regrouper sur une base autogérée)<br />Une expérience de convergence a été tentée le quatri�me jour du FSM : la proposition de se regrouper, sans renoncer aux activités autogérées, le matin à partir des réseaux ou des campagnes et l�apr�s-midi à travers des thématiques identifiées (21 thématiques à partir des 1100 activités inscrites) pour définir des propositions et des mobilisations. La démarche a été jugée intéressante, les résultats n�ont pas été concluants du fait de l�absence d�une préparation suffisante avant le forum et des difficultés d�organisation dans le changement de rythme.<br />Le débat stratégique sur l’�eacute;largissement et la radicalisation, sur la forme du Forum et l’�eacute;volution du processus renvoie à un débat plus fondamental, celui de l�horizon de la transformation sociale. Suivant que l�on est plus sensible à l�urgence de la situation et à la nécessité de définir des objectifs à moyen terme ou que l�on met l�accent sur le caract�re historique du mouvement altermondialiste et que l�on se situe sur la longue période. C�est à partir de là que se définissent les discussions sur l�essoufflement du mouvement ou sur sa permanence. C�est pourquoi, le débat fondamental du mouvement est le débat stratégique, la pensée stratégique permettant de relier les actions à court terme et les objectifs à long terme, l�urgence de la réponse aux situations inacceptables et la transformation en profondeur des sociétés et du monde.<br />UN NOUVEAU CYCLE DES FORUMS SOCIAUX MONDIAUX<br />Je reprends, ci-dessous, mon intervention au Conseil International de Parme, en Octobre 2006. Le FSM de Nairobi me semble confirmer les hypoth�ses que j�avais alors proposé.<br />Le mouvement altermondialiste n�est pas en panne. Il est de bon ton d�annoncer son essoufflement, et pourtant il ne cesse de s’�eacute;largir et de s�approfondir. Elargissement géographique d�abord comme en témoigne les Forums sociaux mondiaux de Porto Alegre, Mumbaï et demain Nairobi ; le forum polycentrique de Bamako, Caracas et Karachi ; les forums continentaux et les forums nationaux dont celui des Etats-Unis en juin 2006 à Atlanta ; la cascade ininterrompue des forums locaux. Elargissement social avec les mouvements paysans dont les mouvements de sans-terre, les syndicats ouvriers, les No-Vox dont les Dalits, les comités de quartiers dégradés et de bidonvilles, les forums de migrants, la marche mondiale des femmes, les camps de jeunes. Elargissement thématique avec les forums thématiques comme ceux de l’�eacute;ducation, de l�eau et les forums associés des autorités locales, des parlementaires, des juges, etc.<br />Le mouvement altermondialiste a connu une montée en puissance considérable en un temps tr�s court, en moins de dix ans. Pour autant, il n�a pas gagné. Il aurait été étonnant de gagner en si peu de temps ; d�autant qu�il n�est pas tr�s simple de définir ce que gagner veut dire. Le mouvement altermondialiste est un mouvement de long terme qui s�inscrit dans la durée. Ce mouvement évolue en fonction des situations. Proposons quelques hypoth�ses.<br />Premi�re hypoth�se : le mouvement altermondialiste entre dans une nouvelle période. Nous achevons un cycle du processus des forums sociaux mondiaux, celui qui a été commencé apr�s Seattle. Il s�agit de définir les éléments du projet correspondant à cette nouvelle période. Des changements politiques importants sont en gestation. D�autant que le néolibéralisme est en crise et que la phase néo-libérale de la mondialisation est probablement en cours d�ach�vement. Nous arrivons aux limites de l�hégémonie du capital financier et de sa logique « court-termiste ». L�hégémonie économique états-unienne est épuisée. La montée en puissance économique de la Chine, de l�Inde et aussi du Brésil changent la donne. La guerre perpétuelle suscite de nouvelles contradictions et les élections aux Etats-Unis introduisent des incertitudes sur la conduite des guerres. La situation en France va évoluer dans les périodes électorales et de recomposition politique. Le mouvement politique en Amérique Latine redéfinit, dans la diversité des situations, de nouveaux rapports entre mouvements et gouvernements.<br />Deuxi�me hypoth�se : le mouvement altermondialiste a concrétisé une alternative. En partant de la contestation du néolibéralisme, le mouvement a affirmé le refus de la fatalité et est passé de la résistance à la contre-offensive et à la mise en avant d�alternatives. L�orientation stratégique qui s�est imposée à travers les Forums est la suivante : à l�organisation des sociétés et du monde par l�ajustement au marché mondial et la subordination au marché mondial des capitaux nous opposons l�organisation des sociétés et du monde autour du principe de l�acc�s aux droits pour tous. Ce principe a déjà changé la nature des mouvements dont la convergence forme la caractéristique principale de l�altermondialisme ; chacun des mouvements a évolué en intériorisant dans ses références la priorité donnée à l�acc�s aux droits pour tous.<br />Troisi�me hypoth�se : le mouvement altermondialiste doit s�opposer à la nouvelle offensive idéologique. Le néo-conservatisme qui construit la suprématie du militaire et de la guerre perpétuelle et préventive. La structuration de l’�eacute;conomique par les discriminations et le racisme. La montée de l�idéologie sécuritaire, des retours identitaires, des fondamentalismes, de la tolérance zéro, de la criminalisation des mouvements.<br />Quatri�me hypoth�se : les modalités du mouvement altermondialiste se sont enrichies. Elles combinent les luttes et les résistances, les campagnes et les mobilisations, les pratiques sociales innovantes, l’�eacute;laboration, les alternatives, les propositions de négociation. Elles mettent en avant la construction d�une nouvelle culture politique qui chemine dans le fonctionnement des Forums. L�expertise citoyenne conteste le monopole de l�expertise dominante et de la pensée unique ; elle concrétise le passage de « TINA » (There Is No Alternative) cher à Madame Tatcher à la capacité de penser un autre monde possible.<br />Cinqui�me hypoth�se : Le mouvement altermondialiste est un mouvement historique qui s�inscrit dans la durée. Il prolonge et renouvelle les trois mouvements historiques précédents. Le mouvement historique de la décolonisation ; et de ce point de vue l�altermondialisme a modifié en profondeur les représentations Nord-Sud au profit d�un projet commun. Le mouvement historique des luttes ouvri�res ; et de ce point de vue la mutation vers un mouvement social et citoyen mondial. Le mouvement des luttes pour la démocratie à partir des années 1960-70 ; et de ce point de vue le renouvellement de l�impératif démocratique apr�s l�implosion du soviétisme en 1989 et les régressions portées par les idéologies sécuritaires.
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